Ma jeunesse,
bercée au milieu des champs et des cultures !


Depuis sûrement plusieurs générations, mes aïeux ont travaillé cette terre lourde du bassin de la Nied, s'adonnant à une mini polyculture vivrière de rapport faible, mais il faut croire sûrement suffisante pour vivre ou tout au moins survivre !
Le climat lorrain est un climat océanique à influence continentale. Malgré l'éloignement de l'océan, le peu de relief du bassin parisien favorise l'arrivée des précipitations poussées par les vents d'ouest. Par contre, quand les vents ne sont pas suffisamment puissants, c'est le climat continental qui domine. Il se caractérise par des nuits froides et des journées très ensoleillées.

En Lorraine, c’est l'humidité qui domine dans toutes les saisons. Les pluies sont froides et se transforment parfois en orage. L'hiver est un peu plus rigoureux que celui de la région parisienne. Il est coupé par des semaines d'eau et de brouillards, surtout les matins ou celui ci peut-être givrant.

La neige tombe déja en décembre. Dans les archives de la météo, on compte 80 jours de gel mais seulement 16 jours de gel continu en Lorraine. La date moyenne de gelée tardive est le 28 avril et la plus tardive du siècle a été le 23 mai 1944.
La floraison des arbres est très souvent compromise. Mais quand les fleurs n’ont pas gelé, ils foisonnent de beaux fruits.
Au mois de mai, mais surtout à partir de juin, il fait enfin chaud et ensoleillée. Les orages peuvent éclater dès avril… Ceci bien sûr n’est pas une sciences exacte, loin de là ! Cette année 2003 par exemple était abominablement sec et très chaud. On a eu à déploré plus 10.000 décès en France durant la canicule d’août, surtout des personnes agées…

…Tout cela pour dire que nos ancêtres devaient avoir la foi, prier le ciel et les différents Saints pour que la météo leur soit clémente et surtout, quoiqu’il arrive, ils devaient de toute façon composer avec la neige, les gelées, les vents, les nuages et la pluie qui les accompagnent mais aussi avec le soleil !

LES TRAVAUX DES CHAMPS :

Pour nourrir toutes ces bêtes, papa et maman devaient cultiver plusieurs champs sur le ban de Dalem. Il y avait des champs de blé, de seigle, des champs d'avoine et de luzerne, le champ de pommes de terre, celui de betteraves, et j'en oublie sûrement… Je me demande d’ailleurs comment papa faisait pour reconnaître ses champs parmi les autres ? Une fois labouré, rien ne ressemble plus à un champ qu’un autre ! Ils étaient situés « Au Kappesborn », « Au AltSchloss », « Au Bill », « Au Bolchen Wiech », « Au Sauer Wayer »…

J’entends parfois papa et pati discuter entres-eux de leur champ ou du champ de leur voisin, ( je ne me souviens plus des surnoms des propriétaires et le nom des lieux ).

Bref, à cette époque-là, pour entretenir et récolter le produit de cette terre, il fallait se rendre très souvent dans ces parcelles...
On s’y rendait, soit assis sur la grande charrette à foin tirée par les vaches et plus tard par le tracteur.
Quand le travail ne nécessitait pas de charrette ou quand papa était au travail, il nous arrivait souvent de monter au champ avec maman et là, on montait à pied.
Il fallait alors traverser la forêt et ça grimpait fort. Mais il n’était pas rare que nous rencontrions quelqu’un en cours de route ou en sens inverse.
On allait aux champs, qui avec sa pioche, qui avec sa fourche ou son râteau sur l’épaule. On ne prenait pas, ou très peu le temps, pour discuter en cours de route… Le temps était précieux ! Maman apportait parfois un panier avec des boissons.
Dans les champs, il y avait toujours du monde ! C’étaient des hommes, c’étaient des femmes, parfois des familles entières qui grouillaient dans la parcelle de pomme de terre ou qui s’afféraient autour d’une charrette de foin.
Papa et maman reconnaissaient les gens à leur façon de se tenir, à leurs vaches, à leur cheval voire même au chien qui accompagnait la troupe…

Parfois ils se parlaient… De loin !
Mais cela ne durait que le temps d’une blague ou d’une phrase dont personne n’attendait parfois de réponse. Et lorsqu’ils n’avaient pas compris ce que disait l’autre, ils lançaient un geste amical avant de replonger la tête vers le bas.
Une fois arrivés dans notre champ, une fois que maman avait mis le panier de boisson sous un buisson, papa et maman s’attelaient à leur tache. Ils piochaient pour nettoyer les rangs de pommes de terre en attaquant le bout du champ et ils avançaient tous les deux au même rythme.
De temps en temps l’un ou l’autre se redressait tout doucement et il appuyait le dos des mains contre ses reins douloureux, sans relâcher la pioche.
Papa ou maman regardaient au loin les autres cultivateurs travailler. Du « Floch », on pouvait distinguer de très loin ces formes humaines recroquevillées, semblant parfois ramper dans les champs. Et puis ils se remettaient au travail en discutant d’un tel ou d’un tel !!!

Aujourd’hui, lorsque l’on retourne dans ces champs, c’est sans pioche sur l’épaule. On s’y promène pour se dégourdir les jambes et faire de belles ballades. Et là, on ne voit plus personne à la ronde !!!

Ce que l’on peut encore apercevoir de nos jours, ce sont un ou deux énormes tracteurs ou ces énormes moissonneuses à cabine climatisé et radio CD qui tournent dans les champs.
Des champs dix fois plus grand qu’à l’époque… Autre conséquence du au fait des remembrements ou regroupements de parcelles !

Je ne sais plus si tout gamin j'étais content de participer à ces travaux des champs mais tout le monde devait y participer, et je n'avais pas tellement le choix.

LA FENAISON :

Papa avait confectionné un clapier en bois comprenant 9 compartiments. Lorsque tous ces compartiments étaient pleins, il fallait assurer la nourriture de tous ces lapins et lapines… cela représentait du monde, car il y avait plus d’une bête par cage !

On les nourrissait avec du foin, des betteraves, des feuilles de choux du jardin et également de temps en temps avec de la belle herbe bien verte et bien grasse.

Je me souviens que papa allait couper cette herbe dans le champ à coté de chez Joséphine. Il emportait alors sa faux sur son épaule et je l’accompagnais !
Avant de commencer, il rafraîchissait le taillant. Il relevait alors sa faux en l'air, pointait l'autre bout du manche de bois dans le sol, et il posait fermement l'avant-bras gauche sur le rebord dorsal de la lame, pour la maintenir solidement. En même temps, il tirait de la main droite une pierre à aiguiser qu’il avait placée dans une boîte réservée à cet effet et qui pendait à l'arrière de la ceinture de son pantalon. ( Il n’a jamais eu de corne de bœuf incurvée comme certains autres faucheurs !). Il aiguisait la lame en frottant vivement une dizaine de fois la pierre de part et d'autre du fil, en gestes précis et prudemment ajustés pour éviter de s'entailler le pouce ou l'index.

Une fois l’herbe fauchée, je la ratissais avec un râteau à bois pour la rassembler en un tas sur une toile de jute carrée, équipée de cordelettes aux quatre coins. Nous réunissions ensuite, deux à deux, les coins opposés en diagonale, tout en serrant la balle à l’aide de nos tibias pour mieux permettre de nouer les cordelettes ensemble. J’aidais ensuite papa à soulever le ballot et… hop ! En pivotant sur lui-même, il réussissait adroitement à le hisser sur son épaule.

Mais cette herbe fraîche, ne suffisait pas pour l’année. Il fallait ramasser du foin en plus grande quantité. Papa avait donc réservé des champs à cet effet.
Je ne me souviens que vaguement de l'époque ou mes parents utilisaient une faucheuse mécanique pour le couper.
La machine était tirée par les vaches ou le tracteur, je ne sais plus ! Elle avait deux roues métalliques. Elle était équipée d'un bras de coupe qui se rabattait sur la droite, horizontalement jusqu'à terre et dans lequel une batterie d'une bonne douzaine de couteaux triangulaires glissait en va-et-vient.
Le mouvement des roues porteuses actionnait cette usine à couper l'herbe. Le conducteur était assis sur un siège métallique percé de plusieurs trous afin que l’eau de pluie ne stagne pas à cet endroit… Il pouvait descendre et remonter le bras de coupe à l'aide d'une pédale installée sous les pieds. On pouvait également en régler la hauteur d'attaque. Quand les lames étaient émoussées ou détériorées par quelque caillou caché dans l'herbe, il fallait les affûter !

Notre remue-ménage dérangeait parfois des perdrix ou des lapins mais aussi de nombreux insectes. On voyait de petits papillons jaunes s'envoler à notre approche et se confondre un peu plus loin dans l'or des céréales, des petites sauterelles vertes, brunes ou jaunes s'élancer par bonds successifs pour se réfugier dans la partie du champ qui n'était pas encore fauchée, parfois des grillons noirs, perdus loin de leur galerie allaient se tapir sous un tas de paille.
J'affectionnais saisir l'une ou l'autre de ces bestioles pour voir comment elles se défendaient.

Une fois coupé avec la faucheuse, il fallait que le foin sèche bien. Papa ou maman l’étalait et le retournait une ou deux fois à l’aide de la fourche. Les rayons du soleil et le vent faisaient le reste.
Les grands cultivateurs utilisaient des machines aussi sophistiquées les unes que les autres.

Chez nous, on s’armait de râteaux en bois et on ratissait soigneusement le pré sur toute sa surface. On rassemblait l'herbe en andains dans le pré pour limiter au maximum le mouillage par la rosée nocturne.
Le lendemain matin, on retournait à nouveau le fourrage et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il soit bien sec.
Il était rare qu'on pût rentrer le foin au bout du deuxième jour de fanage. Au cours de l'après-midi du troisième jour, on réunissait enfin le foin sec et craquant en andains rectilignes le long desquels on allait faire parcourir la charrette.

Le foin ne pouvait pas être aussi bien chargé que les bottes de paille et la charrette ne montait pas bien haut. Mais il fallait tout de même prendre soin du chargement.
Le long des andains, maman et moi, on piquait adroitement et par coups successifs dans le fourrage, afin de superposer deux ou trois couches à la fois dans les longues dents de notre fourche. On soulevait ensuite ces lourdes fourchées de foin pour les tendre à papa campé sur la charrette.
Une pluie de brindilles retombait à chaque fois sur nos têtes. On évitait de regarder franchement vers le haut, essayant d'abriter notre visage et notre nuque du mieux que nous pouvons. Maman portait de ce fait toujours un foulard sur sa tête.
Papa réceptionnait les fourchées à bras ouverts, veillant à ne pas s'empaler les mains dans les pointes des fourches. Venait ensuite tout un savoir-faire pour répartir les brassées de fourrage et les lier entre elles, en les intercalant de sorte que les bords latéraux du chargement ne puissent pas crever pendant le transport. Au fur et à mesure qu'on avançait, on ratissait le foin qui restait par derrière.
C'était un travail pénible, salissant, et tous transpiraient abondamment !
Le chargement montait tel un parallélépipède parfaitement équarri.
Lorsque la charrette était pleine ou suffisamment haute, on arrimait le chargement par un moyen très ingénieux.
Papa glissait la pointe échancrée d’une longue perche : le « Wiesbaum», qui faisait toute la longueur de la charrette sous un des barreaux de l’échelle avant. Il écrasait ensuite cette perche de bois à l’arrière en enroulant une corde autour d’un tambour formé d’un cylindre de bois percé de quelques trous.
Pour tourner ce tambour, il fallait parfois être à deux. Chacun était armé d’une tige de fer que l’on plantait à tour de rôle dans les trous du tambour.
A la fin, maman peignait soigneusement les faces extérieures du chargement, de haut en bas à l’aide de son râteau pour éviter d’en semer tout le long de la route !
En récompense de mon travail, j’avais droit de m'asseoir tout en haut du chargement, pendant le retour à la maison, sauf quand le chemin accusait un fort dévers latéral, et qu'il y avait danger de verser le chargement sur le côté, en contre-bas. On avait alors besoin de tous les bras disponibles, pour soutenir la charretée, en poussant les fourches le plus fort possible dans le flanc menaçant. C'était dangereux !
Pour descendre la cote du « Floch », maman marchait souvent derrière la charrette. Une fois sur la route, elle venait s’asseoir derrière sur le tracteur ! Sur le Pony, il y avait une petite banquette à coté du chauffeur.

Le foin était entassé sous le hangar.
Le travail dans la poussière, pour manipuler à grandes brassées ce foin chargé d’épines de chardon devait encore être bien pénible ! Ça rentrait partout, dans les habits, les yeux, le nez, les oreilles…
Lorsque le nez chatouillait de trop, papa ne sortait pas de mouchoir de la poche… Il savait faire sans ! Ces journées là aussi, la douche devait être appréciée ! Un soir, en se déshabillant, maman a vu tomber un orvet de sa robe. Brrrr !

LES MOISSONS :

Plus tard, en plein été il y avait les moissons... Elles tombaient en juillet pour le seigle et le blé, en août pour l'orge et l'avoine.. Dans certaines parcelles, le rendement n’était pas toujours fameux… On pouvait voir dans le champ autant de chardons, de coquelicots ou de bleuets que de beaux épis !
On ne voit plus de parcelle ainsi colorée. Les engrais ont eu raison des coquelicots et des bleuets. Que c’est triste !

Je n’ai pas connu l’époque ou l’on fauchait le blé à la faux !
Avec l'acquisition de la faucheuse mécanique, le fauchage des céréales devint plus rapide et surtout moins pénible. On fauchait donc le blé avec une faucheuse mécanique. La même qui servait couper le foin mais légèrement adaptée pour la circonstance. On adaptait par exemple un deuxième siège sur la faucheuse. Ce deuxième siège était monté sur le côté, au-dessus de la roue droite. L'adjonction de ce deuxième siège était prévue juste pour la moisson, pour permettre au maître d'œuvre de dominer le bras de coupe et faire se coucher les céréales bien droites et parallèles, en accompagnant la chute des épis à l'aide d'une sorte de râteau plat. D'un pied, on enfonçait une pédale qui relevait un dispositif à lamelles de bois contre lesquelles s'amoncelaient les tiges coupées. De temps en temps, il fallait relâcher la pédale et cela permettait d'évacuer un tas de la valeur d'une gerbe. Les femmes et les enfants suivaient de près pour relever aussitôt la gerbe et la disposer en travers d'une cordelette de liage.

La parcellisation extrême des terres entravait cependant l'emploi de la faucheuse mécanique, car il fallait respecter les cultures des champs contigus, et il n'était pas question de faire un demi-tour sur le carré de betteraves ou de pommes de terre d'un voisin. On dégageait d'abord un «Aawenner», un espace de manœuvre en y coupant la céréale à la faux.
On fauchait donc manuellement une première bande de passage sur toute la longueur du champ ainsi qu’aux deux extrémités afin de pouvoir tourner en bout de ligne sauf si le champs contigu était déjà fauché ou s’il n’y avait pas de culture.
La faucheuse ne pouvait donc entrer en action qu'après ces travaux préparatoires.
Le bruit de la faucheuse et l'animation des moissonneurs faisaient parfois lever et fuir des petits campagnols affolés, qui ne retrouvaient pas le trou de leur nid souterrain. Ils zigzaguaient désespérément dans les chaumes, se cachant souvent sous une gerbe encore éparse au grand damne des femmes.

Comme lors de la fenaison, ma suprême joie consistait à attraper une de ces sauterelles géantes, qui apparaissent comme par enchantement au moment de la moisson, et qui mesurent de cinq à dix centimètres. Leur vert-pâle les trahit, en contrastant sur la moisson dorée, alors qu'il les camoufle parfaitement sur un fond herbeux. Elles volent davantage qu'elles ne sautent, et je les capturais difficilement, car elles se tiennent souvent au niveau des épis et, à la moindre approche, elles s'envolent loin, parfois très loin, sur des dizaines de mètres. Mais il arrivait qu'elles s'embrouillent dans les barbes des épis et c'était ma chance. Je les attrapais avec précaution, en les saisissant sur les côtés, sans laisser à la tête la possibilité de se retourner, car leurs pinces buccales sont redoutables. J'aimais bien les regarder, surtout leurs gros yeux qui ressortent en boules et leurs longues antennes qui semblaient me narguer constamment de leurs ondulations souples.

Lorsque la faucheuse avait terminé son travail, il fallait ensuite ramasser les gerbes de blé et les lier en bottes.
Pour éviter que la paille ne prenne l’humidité, il fallait regrouper les bottes par 7.
On plantait d'abord la gerbe centrale en la piquant d'un geste ferme dans les chaumes, les épis vers le haut, tout en veillant à obtenir un alignement parfait avec les autres tas. Il fallait tenir cette gerbe maîtresse bien verticale, en enserrant les épis dans ses deux mains, attendant l'arrivée de cinq autres gerbes qu'on devait arc-bouter tout autour contre la première, sans briser la paille à hauteur des épis. Enfin, on plaçait une septième gerbe en travers et par-dessus l’ensemble en guise de coiffe. Ainsi, les épis couverts se trouvaient à l'abri d'une averse ou même d'un orage passager. Vous imaginez comment ces tas de paille étaient pour les enfants la cabane idéale pour jouer à cache-cache ?

Le lendemain, où quelques jours plus tard, il fallait charger toutes ses bottes sur des charrettes attelées à des vaches pour les emmener vers la batteuse qui se trouvait chez MAAS Eugène, en haut du village, à côté du vieux cimetière.
Il y avait beaucoup de monde autour de la machine tout en bois. Je ne crois pas que nous les enfants nous ne prenions part aux travaux, car la machine était dangereuse. Elle était équipée de plusieurs longues courroies qui tournaient sans protection aucune autour de plusieurs roues actionnées dont une actionnée par un moteur électrique.

Plus tard, la moissonneuse batteuse fit son apparition dans les champs.

Il y avait toujours un grand nuage de poussière autour de cette machine. J'étais impressionné de voir le visage tout sale et plein de poussière du conducteur et le visage tout aussi noire de la personne qui remplissait le sac de grains et qui se tenait debout sur une plate-forme sur le côté de la machine.
Le sac rempli de blé était fermé puis culbuté dans le champ.
A l'arrière de la machine il y avait tout un système qui pressait la paille, qui la bottelait en cube et qui poussait les bottes une à une pour les faire tomber dans le champ. Ce travail fini, il y avait des bottes de paille et des sacs remplis de grains de blé éparpillés dans tout le champ.

Venait alors le tracteur et la charrette pour charger les sacs de blé qui pouvaient bien peser jusqu'à 50 ou 60 kg ; si pas plus !
Pour charger les sacs sur la charrette, on procèdait de la même façon qu’avec les sacs de pomme de terre : Un, deux et hop, le sac était chargé !
Même appréhension pour descendre la cote du « Homberg »…
Arrivé à la maison, il ne fallait plus aller à la cave, mais il fallait monter les escaliers de la maison pour vider les sacs dans le grenier.
Papa ne pèse pas lourd, mais combien de sacs de blé s'est-il mis ainsi sur le dos ? ( Les sacs pesaient sûrement plus lourd que lui ).
Pati était là aussi pour nous aider.
Pour monter les derniers sacs, il n’était pas rare de voir l’un ou l’autre monter les fameuses marches à quatre pattes ! « Noun i Dié va ! »
Dans le grenier, papa avait avec quelques planches, délimité la parcelle pour le blé, la parcelle pour l’orge et celle pour l’avoine. Il ne s’agissait pas de se tromper lorsque l’on renversait le sac !
Pendant quelques jours, il fallait retourner les grains à la pelle pour qu’il sèche plus vite et éviter que l’humidité s’y installe. J’aimais passer mes mains dans ce tas de céréales dorées et laisser glisser entre mes doigts les grains tout frais !

Mais ce n’est pas tout ! Il fallait encore retourner dans le champ avec le tracteur et la charrette, pour charger la paille. Il y avait le conducteur du tracteur, souvent moi, puis une personne au pied de la charrette pour charger les bottes de paille à l'aide d'une fourche. C'était le travail de maman.
Papa était debout sur la charrette pour ranger les bottes de façon à ce qu'elles ne tombent pas… Charger une charrette de paille, attention ça ne rigolait pas… Le travail était sérieux. Pas question de faire pencher la charrette d'un côté ou de l'autre. C’était d’autant plus important qu’il fallait pour aller à la maison, traverser tout le village avec la charrette chargée, papa se faisait donc un point d'honneur pour avoir un équipage bien équilibré.

Les bottes étaient bien calées entre l’échelle placée à l’avant et 2 grandes perches plantées à l’arrière de la charrette, de chaque coté.
Lorsque la charrette était pleine on arrimait le tout avec le « Wiesbaum ».
Et si la charrette de paille n’était pas trop haute, les enfants avaient le droit d’y grimper. C’était plus stable qu’un chargement de foin. Nous étions fiers perchés tout là-haut. Pendant le trajet on attrapait des quetsches sur les branches des arbres fruitiers qui bordaient le chemin... Hum !

La paille était entassée dans le hangar à quelques mètres de la maison.
Sous le toit en tôles ondulées, la chaleur était insoutenable. Pourtant papa s’y glissait et entassait la paille jusqu’à ce qu’il se retrouve à quatre pattes contre les tôles.
Maman lui envoyait les bottes à grande fourche. Je m’y employais aussi, mais attention, il ne s’agissait pas de blesser papa avec les dents de la fourche !

« Papa devait sacrément bien apprécier un bon verre d’eau fraîche et une bonne douche en rentrant à la maison ! »

Je n'étais pas bien grand en ce temps là, mais j'étais heureux de conduire le tracteur ! J'arrivais pourtant à peine à joindre les pédales.
Un jour, c'était dans un champ appartenant à mon parrain, là où il a actuellement tous ses arbres fruitiers sur la route de TETERCHEN. Ce champ est en pente et il fallait ramasser du foin ou de la paille, je ne sais plus, en tout cas, Pati a été obligé de sauter du haut de la charrette, sur le tracteur car je n'arrivais pas à freiner assez fort…
Pour finir la moisson, tatan Joséphine, était obligée de marcher à côté du tracteur et à chaque fois que je m’arrêtais, elle glissait un morceau de bois sous les roues...

LES POMMES DE TERRE :

Le point culminant des travaux des champs était sans conteste l'arrachage des pommes de terre.

Mais avant de penser à les récolter, il fallait les planter. Papa traçait un sillon à la charrue. Les femmes et les enfants suivaient au même rythme et enfonçaient en terre un tubercule à espace régulier tout le long du rang et ainsi tous les 2 rangs.
Lorsqu’un tubercule récalcitrant ne tenait pas assez enfoncé dans la terre, un petit coup de la pointe du pied, au grand détriment de nos parents car nous cassions ainsi les germes, le calait définitivement. Il fallait en faire des allées et venues dans les sillons !
Quelques semaines plus tard, il fallait chausser les jeunes plants qui étaient sorties de terre. Nous partions alors papa et moi à pied « Au Stahlen », un champ situé au sud du village. Papa portait sur son dos une charrue à main. Sur place, il me suffisait de me mettre devant et de tirer cette charrue en mettant les bras derrière mon dos pour tirer la poignée.
Papa tenait fermement les manches de la charrue afin de guider le soc entre les pieds de pommes de terre.
Puis vint la période de la récolte.
Ce matin-là, toute la famille se rendait dans le champ. On y allait en charrette, tiré par le tracteur.
On prenait place assis latéralement sur la charrette en bois, les jambes pendantes.

Je ne me souviens pas de l'époque où il fallait sortir les pommes de terre à la pioche, mais je me souviens plus tard de l'arracheuse de pommes de terre tirée par le tracteur.
La machine était équipée d’un soc qui creusait la terre. Les roues de cette machine entraînaient un axe comprenant 5 bras équipés de griffes. La terre, en remontant sur le soc était brassée par les griffes qui projetaient ainsi les pommes de terre sur le coté.
Nous prenions un malin plaisir de marcher derrière l’engin mécanique pour voir les souris des champs se sauver lorsque le soc de la machine avait dérangé leur nichée...
Mais comme je l’ai dit plus haut, en dehors des souris, la rotation des griffes de la machine envoyait les pommes de terre sur le côté du sillon et un peu n’importe où...
Notre travail consistait d’abord à les rassembler. Pour cela on suivait la machine, on ramassait les pommes de terre projetées ça et là pour rassembler sur le coté du champ sans toutefois qu’elles s’entassent les unes sur les autres. Cela permettait de les laisser sécher et facilitait ensuite le ramassage...

Celles qui n'étaient pas encore complètement débarrassées de leur gangue de terre devaient être secouées, souvent entrechoquées légèrement, ou même frottées entre les doigts.
Le ramassage n’était pas toujours une phase plaisante de la récolte. J'avais par exemple horreur de mes mains terreuses, et je tenais les doigts écartés pour ne pas sentir le crissement de la terre.
Cette mauvaise sensation du toucher m’agaçait tellement que je m’essuyais mille fois les mains au cul de mon pantalon…
Le pire à endurer venait après une pluie, quand la terre était mouillée, et qu'on devait carrément farfouiller dans la boue…
C’est souvent lorsque toutes les pommes de terre étaient rassemblées que nous faisions la pause ! En effet, comme les travaux prenaient toute la journée, pas question de rentrer à la maison pour déjeuner à midi. On faisait un " pique nique " sur place.
Cela par contre c'était chouette ! Mais ça ne durait jamais assez longtemps… au goût des enfants...
Maman avait préparé un grand panier dans lequel on trouvait du saucisson, du pain qu’elle enveloppait dans un torchon, du fromage, un litre de vin pour les hommes, du café ou que sais-je encore !
Nos mains étaient toutes terreuses et pour se débarrasser de ce sable collant, nous frottions nos mains dans l’herbe verte et parfois encore humide d’un champ mitoyen. L’idéal bien sûr était de pouvoir profiter un filet d’eau qui coulait dans un des fossés longeant le champ !
Maman déballait le contenu du panier sur le torchon déployé à même le planché de la charrette. Si certains restaient assis sur les planches de la charrette, d’autres s'étaient installés sur les sacs de jute ou sur un panier retourné, de sorte qu'on se retrouvait en cercle. On bavardait par moments de choses et d'autres… Moi je me plaignais de mes doigts terreux que je tenais largement écartés en cassant ma croûte !

C’est souvent papa qui se levait le premier pour retourner dans le champ. Et oui, il fallait bien les ramasser ces patates ! Nous n’y coupions pas ! Mais il y avait un ordre pour ramasser les pommes de terre ! Il fallait d’abord ramasser les plus belles pommes de terre qui serviront l’année suivante de plants. C’est papa qui passait donc le premier pour effectuer ce travail. Il les mettait directement en sac. Pour distinguer les sacs de plants des autres sacs, papa coinçait une touffe de fane de pomme de terre dans le lien avant de le fermer.
Lorsque les plants étaient ramassés, il fallait ensuite ramasser les pommes de terre propre à la consommation. Là, tout le monde s’y mettait...
Le reste, les pommes de terre, celles qui avaient été coupées par la machine ou celles qui étaient un petit peu pourries étaient destinées aux cochons... Il fallait également repérer ces sacs. Pour cela, on coinçait dans les plis de la fermeture du sac du « Schiessmiehl », vous savez ! Cette mauvaise herbe qui pousse au milieu des plants de pomme de terre… Ça voulait dire ce que ça voulait dire !

Il me semble que je prenais plaisir à ramasser les pommes de terre, mais il ne fallait pas que cela dure trop longtemps. Nous étions nombreux dans le champ, papa, maman, ma sœur, Jean-Marie (Pati), sa femme Joséphine et leurs enfants et puis la sœur de maman qui s'appelle également Joséphine…
( Je rappelle : pour distinguer une Joséphine de l'autre, c'est facile : il y a la Joséphine " là ", la sœur de maman qui habite en face de chez nous, et il y a la Joséphine " du village ", la femme à Jean Marie (Pati), qui elle habite au centre du village ).

Il y avait bien sûr tous les enfants : Clarisse ma sœur, Christian et Evelyne puis plus tard Michel, les enfants à Jean-Marie et Joséphine. Pour nous aider, il y avait bien sûr pépé et mémé MAAS.

C'est de pépé dont je me souviens bien.
Pépé n'avait pas son pareil pour ramasser les pommes de terre. Il se mettait à quatre pattes ( alors que tous les autres se penchaient en avant ) et de ses deux mains, il farfouillait la terre à une vitesse extraordinaire. Les patates disparaissaient dans le panier grillagé « in de Koaff » en un rien de temps.

Le panier rempli, on le secouait énergiquement pour faire tomber l’excédent de terre au travers du grillage du « Koaff », puis on renversait le tout dans la bouche du sac de jute. Il fallait être à deux pour le faire, à moins d’avoir le bon coup de main pour se permettre de le faire seul. Mais même à deux, il nous arrivait de devoir ramasser des pommes de terre qui étaient tombées à coté du sac… C’est arrivé plus d’une fois !

Il fallait bien agripper le sac en dessous du panier sinon c’était tout son contenu que l’on retrouvait par terre. Il fallait ensuite savoir fermer le sac avec la ficelle. Ce n'était pas aussi simple que cela en avait l'air ! Un sac contenait environ 3 bons paniers et pesait donc pas loin de 50 kg.
Avant de ficeler les sacs, il fallait les soulever de toute notre force, par petits à-coups, afin de bien tasser les pommes de terre et permettre aux sacs pleins de tenir debout.

Une fois tous les sacs remplis, il fallait les charger sur la charrette…
Là on se mettait également à deux. Un tenait la fermeture du sac, l’autre tenait fermement les deux coins inférieurs du sac. On approchait de l’attelage, on basculait le sac d’avant en arrière, quelqu’un comptait : un, deux et hop ! Le sac était alors projeté sur le plancher de la charrette. Nous avions à répéter ce mouvement pour une trentaine ou une quarantaine de sacs.
La charrette pleine et lourde, il fallait ensuite descendre la côte du « Homberg »… Elle est très raide. Il fallait faire très attention. C’était sûrement la hantise de mes parents… Comme d’ailleurs sûrement la hantise de toutes les familles qui avaient des champs au « Floch » Heureusement les charrettes possédaient des freins à l’arrière. Et tout le monde était très prudent !

Arrivé à la maison, il fallait ensuite décharger les sacs de pomme de terre dans la cave.
Debout sur la charrette, j’ouvrais le sac, j’annonçais à celui qui venait le saisir : Papa ou pati, si c’était des plants ou des pommes de terre pour les cochons. Les autres sacs étant par défaut les belles pommes de terre à consommer. Je n’avais pas intérêt à me tromper !!!
Le porteur saisissait alors la toile de jute avec les deux mains et d’un mouvement de balancier, projetait le sac sur son dos… Il marchait recroqueviller jusqu’à la cave dans laquelle il basculait le sac par-dessus son épaule pour le vider de son contenu. Les tas de pomme de terre étaient séparés par des planches.
Le tas de pomme de terre à consommer était beau à regarder en fin de saison !!!
Une odeur de terre remuée emplissait alors les lieux pendant des semaines.

LA RECOLTE DES BETTERAVES :

La récolte des betteraves fourragères pour les lapins, les vaches et les cochons était le dernier gros travail des champs en fin d'automne.
On arrachait les betteraves à la main, une à une. On coupait les longues radicelles, on grattait la terre qui collait facilement contre les betteraves en cette saison humide et on prélevait le feuillage en coinçant les betteraves sous un coude, tout en vrillant de la main opposée la base des feuilles avec force. Cette verdure, soudain trop abondante pour être livrée aux cochons, était vouée à l'enfouissement par la charrue.
La récolte des betteraves n'était pas un travail d'enfant, mais là je crois que nous les garçons ( Christian MAAS et moi ), nous y prenions un plaisir certain.

C'était en automne. Le temps était humide. Les feuilles des betteraves étaient toujours mouillées. …Et là où c'est mouillé… On se salit… Là où on se salit… On rigole...

C'était pour nous également une épreuve sportive. Nous pouvions montrer notre force en jetant la betterave tel un poids de compétition dans la charrette. Il n’y avait pas de précaution particulière à prendre.
Par contre, je sais que papa ou Pati n'étaient pas fiers eux… Ils pensaient à la grande descente de la côte du « Homberg ». Il y avait du poids qui poussait et le tracteur n'était pas bien lourd. Quelqu'un devait rester derrière la charrette pour tourner la manivelle qui serrait le frein. Le tracteur roulait au pas.

Avec toutes ces récoltes, papa et maman pouvaient nourrir correctement toutes leurs bêtes :
Poules, lapins, canards vaches et cochons.
Le congélateur était toujours bien plein. Il pouvait venir du monde à l'improviste, il y avait toujours de quoi assurer !


Entrez ici dans ma page sommaire...