Ma jeunesse,
bercée au milieu des animaux que nous élevions !




Dans le village, tout le monde avait sa « Weenchin ».
Vous savez ?
Cette petite charrette à quatre roues très pratique car on pouvait démonter les planches de devant et de derrière.
Les roues à rayons étaient bordées d’un anneau en fer.
Pour la tirer, il y avait un timon en bois terminé par une barre transversale. Ce timon redressé, ressemblait fortement à une croix.
Lorsque la route descendait, les jeunes garçons, les plus audacieux, enlevaient la planche avant, s’asseyaient dans la charrette et descendaient la cote en maintenant, pour se guider, le timon avec les pieds…

Lorsque maman (une poitevine) est arrivée en Moselle, en 1953, elle avait remarqué toutes ces croix…
« Ils doivent être très croyants ces gens là »
avait-elle pensé !

Mais cette charrette, il fallait tout de même la tirer…
En 1960 ou 1961, Pati, mon parrain, c’est confectionné une charrette et c’est acheté un âne pour mettre devant…

Comme la plupart des familles du village, papa et maman pratiquent l'agriculture et élèvent des animaux domestiques.

Ils élevaient toutes sortes de bêtes. Des bêtes à cornes comme les vaches, de la race des « Simmerthaler » d’abord, puis de la race des « frissonnes ou pie noir », des veaux, des bêtes à poils comme les cochons, des lapins, des bêtes à plumes comme les poules, des canards et des poussins ( papa avait même acheté une couveuse pour en faire l'élevage…). En bon autodidacte, il s'était bien documenté sur le sujet. La couveuse ne fonctionnait pas correctement quoique j'ai vu des poussins y naître. Mais c'était une occupation laborieuse. Il fallait régulièrement arroser les œufs, les tourner, les surveiller de très près etc.

Par la suite, il a préféré acheter les poussins déjà nés. Un jour, il était parti pour en acheter une centaine. Il est revenu avec 200 petits poussins d'un jour. Maman a levé les mains au ciel : « Mais où on va aller avec tout ça ? ».
Des poussins à peine nés sont encore très fragiles, il faut en prendre bien soin et les élever dans une cage construite à cet effet. La cage avait un plancher en bois et tout le tour était grillagé. Elle mesurait environ 1 mètre de large sur 2 mètres de long et 50 centimètres de haut. Papa y avait installé un petit abri en bois sous lequel se rassemblaient les poussins. Cet abri était chauffé grâce à une lampe spéciale et qui restait allumée jour et nuit.
Les soirs nous allions papa, maman, Clarisse et moi dans l'écurie admirer ces petites boules de plumes jaunes entasser les unes sur les autres pour se tenir bien chaud. C'était beau à voir ! Pour leur donner à manger, maman écrasait des œufs durs dans un saladier… Ça avait l’air bon !

LES POULES :

Par contre, lorsque ces poussins avaient grandi, lorsqu’ils étaient devenus de belles poules, elles étaient placées dans un enclos où elles pouvaient courir librement. Tous les soirs, il fallait les faire rentrer dans le poulailler… Quelle histoire !
Combien de fois ai-je pu dire :
« Mais qu’elles sont bêtes ces poules ! »…
Je me demande même si je n’utilisais pas un adjectif plus grossier ! Si, sûrement !
Certes, elles devaient monter une petite échelle en bois ( c’était une planche avec des barreaux en travers ) pour accéder à une petite porte avant de rentrer dans le poulailler… Mais tout de même ! Quel boulot !
Elles couraient de gauche à droite comme des perdues, elles stationnaient au pied de l’échelle, tournaient la tête pour regarder la porte et hop elles faisaient demi-tour…« patates ! ».
Nous étions là, maman et moi les bras écartés autant que les jambes, à pousser ces bestioles vers l’échelle de bois.
Il n’était pas rare que l’une d’entre elle nous passe entre les jambes. Il fallait alors courir derrière pour la ramener… Entre temps les autres c’étaient également fait la malle… « Ah ces poules ! »

Par contre, le matin, lorsque l’on approchait du poulailler avec le seau de blé, elles accourraient comme des folles en battant leurs petites ailes pour aller plus vite.
Pour appeler les retardataires, je faisais comme maman :
« Biip bip bip bip bip biiiiiip ! » ou « Petits, petits ».
On versait les grains dans une mangeoire, tout en semant une ou deux poignées au loin pour les poules moins hardies et que la troupe ne tolérait pas dans leur mêlée.
Il fallait aussi veiller quotidiennement à leur porter de l'eau à boire, et c'était amusant de les voir tremper le bec dans l'abreuvoir, pour relever aussitôt la tête, en tendant le cou loin vers le ciel !

Maman m'emmenait au poulailler pour relever les oeufs dans les logements qui servaient de nids. Elle m'avait appris à ne pas confondre l'œuf en plâtre, qui servait de leurre, avec les vrais oeufs pondus par les poules.
Notre basse-cour nous permettait parfois de mettre la poule au pot, mais pas tous les dimanches… Par contre, la production des oeufs était intéressante. A certaines périodes, comme au printemps, les poules pondent tous les jours et on ne tuait une poule que lorsqu’elle était vieille et que ses pontes devenaient rares. On discernait l'âge des poules grâce à la couleur des bagues de couleur qu'on leur avait enfilées aux pattes.
Dans la cour, papa avait fabriqué un clapier en bois avec 9 cages pour y élever des lapins. A deux ou trois lapins par cage, voire plus, cela représentait du monde… à poil !!!

LES LAPINS :

Comme les poussins, les petits lapins étaient également très mignons à regarder, mais surtout pas le premier jour car ils n’ont pas encore de poil et sont tous fripés. Leurs yeux sont encore fermés !

Par contre ils sont adorables à partir de 4 ou 5 jours. Mais attention, pas question de les déranger quand la mère lapine était à coté !
Si papa tirait le fumier des cages lorsque nous étions petits, ce fut une de mes occupations plus tard. Mes parents m’avaient également appris nourrir les lapins. C’était soit une ½ betterave, une poignée de belle herbe verte et bien grasse, des feuilles de choux rouges, ou de choux verts… Du foin en hiver… Parfois des granulés. J’aimais regarder les lapins se jeter sur les feuilles de choux encore humides et bien grasses : Creutch… Creutch… Creutch !

CANARDS, OIES ET AUTRES BESTIOLES :

Papa et maman achetèrent également des canards à qui il fallait couper les ailes pour qu'ils ne s'envolent pas.

Ils élevèrent aussi des dindes, des dindons, des oies et même des faisans dorés.
…Il fallait faire attention où l'on mettait les pieds lorsqu'on allait dans la cour…
Une année, je me souviens que le danger ne venait pas de l'état de la cour, mais d'un méchant coq qui sautait sur Clarisse. Il n'a pas du faire cocorico bien longtemps celui-là !

Pour élever toutes ces bêtes, nettoyer les cages à lapin, enlever le fumier de l'écurie, traire les vaches, les emmener et les ramener au pré, pour cultiver et entretenir des champs de diverses cultures pour les nourrir, il fallait sacrement assurer, avoir beaucoup de courage, de force et de volonté ( mes parents ont tout ça ).

Lorsqu’il s’agissait de tuer cette volaille, il n’y avait pas d’état d’âme à avoir. Cela se faisait le plus naturellement du monde. On élevait les bêtes pour ça ! Pour quasiment toutes les volailles, c’est maman qui se chargeait de la nourriture mais aussi de la tâche ultime.
Il fallait alors courir après le volatile désigné pour l’attraper… Dès fois c’était un autre qui passait à la casserole…. Tant pis ! Mais il faut avouer que ce n’était pas si évident que ça !!! Une fois attrapé, maman s’approchait alors du tas de fumier en tenant l’animal par les pattes pour lui trancher la carotide d’un coup de ciseau sûr ! Certaines personnes coupaient la tête de leur volaille sur un billot de bois à l’aide d’une hache... Maman préférait utiliser sa manière.
Quand le corps du volatile avait fini de se débattre en se vidant de son sang, maman plongeait la poule dans un grand baquet d’eau bouillante pour la plumer aussitôt. Plus l’eau était chaude, mieux les plumes s’enlevaient. Inutile de vous dire que parfois on se brûlait les doigts...
Je dis "on", car à ce moment-là du travail, Clarisse et moi nous pouvions l’aider, surtout lorsqu’il y avait plusieurs bêtes à tuer le même jour !!! Ce qui arrivait souvent vue la quantité de poussins d’un jour que nous ramenait papa certaines années… Il est arrivé qu’une vingtaine de poulet passaient de vie à trépas dans une journée !!!

Une fois la poule débarrassée de ses plumes, maman la vidait de ses entrailles. Les plumes volaient dans un seau, les entrailles dans un autre… A la fin du travail, les baquets ressemblaient à un cloaque fumant et rebutant. Papa le déversait sur le tas de fumier car on pouvait alors enfouir les plumes pour éviter qu’un coup de vent les éparpillent un peu partout dans la cour.

ET PUIS, IL Y AVAIT LES BETES UN PEU PLUS GROSSES :
LES VACHES !

Mais avant de parler de nos vaches, il y a un autre grand plaisir qui nous était offert dès le printemps, je veux parler des hirondelles.
Mais quel rapport avec les vaches ? Et bien cela me faisait toujours plaisir de voir dans certaines étables, qu’elles construisaient leur nid dans un coin en parfaite symbiose justement avec les vaches.

Et les paysans les laissaient faire, car ils pensaient qu'elles portaient bonheur, en retour du bon accueil et la protection qu’offrait l’étable.
Nous n’avions pas chez papa et maman de porte ou de fenêtre que l’on pouvait laisser en permanence ouverte afin de les laisser entrer ou sortir à leur guise de notre écurie. Elles ne nichaient donc pas dans notre étable, mais nous avions le plaisir de les voir faire leur nid sous le toit de notre maison.

Elles construisent leurs nids de boue sèche et ces nids restaient d'une année à l'autre et, à chaque printemps, elles n'avaient qu'à refaire les parties qui étaient tombées en ruine.

LES HIRONDELLES :

Non, nous n'élevions pas ces oiseaux, mais nos bêtes les attiraient. Quel bonheur de les voir voltiger dans le village et autour des maisons ou à ras l'herbe des champs...

Par contre, dès la fin du mois d'août, on voyait de grands rassemblements d'hirondelles s'aligner sur les fils du réseau électrique. Elles se postaient côte à côte par dizaines, comme pour prendre les marques du départ. Il suffisait que l'une d'elles quitte son fil pour faire une virevolte, et toute la troupe ailée s'entremêlait aussitôt en l'air, sans aller bien haut. Parfois c’était une fausse alerte et les hirondelles tournoyaient alors en criaillant au-dessus des toits des maisons, semblant faire des tours d'honneur avant la grande migration, puis elles revenaient se reposer encore et encore, pour de longs conciliabules entrecoupés par d'interminables essais de départ.
Certaines années, j’aurai bien voulu assister à leur vrai départ pour les suivre du regard quand elles s'éloigneraient pour de bon. Mais à chaque fois on se rendait compte qu’à un moment donné elles étaient vraiment parties, tout à coup… Et personne n’y voyait rien… Oh ! Il restait toujours quelques rares retardataires à traînailler pendant un jour ou deux, mais quand le gros de la troupe avait disparu, l'ambiance était différente. Il n’y avait plus dans le ciel cette animation estivale... Ces vols en rase motte annonciateur de pluie, et au contraire ces hauts vols annonciateur de beau temps !

Le vol de l’hirondelle est très agréable à regarder… Tantôt planant, tantôt agitant vivement leurs ailes, les hirondelles savent virer avec la promptitude de l'éclair, monter, descendre, raser le sol, glisser à la surface de l'eau ou s'y plonger sans interrompre leur vol. Epoustouflant !
Leur cri de contact est un « vitt » ou « tsivitt » aigu. L'alarme est une répétition de « tsivitt » nerveusement enchaînés. Les hirondelles tournoyaient autour des vaches dans les champs. C’était sûrement les endroits les plus sûr pour trouver et happer en vol une mouche, une guêpe ou une sauterelle.

Je me suis déjà demandé où les hirondelles pouvaient se rassembler autrefois, avant l'électrification de nos villages, au temps où aucun fil électrique n'était encore tendu dans la campagne ? Etait-ce sur le fait des toits ? Sûrement ! Ces oiseaux migrateurs ont donc su s'adapter à la modernité ! Sûrement, car je ne vois pas comment ils auraient fait autrement !

LA TRAITE DES VACHES :

Quant à nos vaches, qui se seraient sûrement très bien accommodé de la présence de ces volatiles, elles assuraient avant tout la nécessaire production laitière dont dépendait en grande partie l'alimentation de la famille.
Le lait et ses dérivés tenaient une place également lors de nos repas. On le buvait cru, ou même encore tiède après la traite. Le soir, on le consommait en fromage blanc accompagné de pommes de terre rôties et ou de salade. On avait l'habitude de marier le chaud avec le froid au cours de nos repas.
Pour obtenir du fromage blanc, maman versait du lait caillé dans une passoire tapissée d'un tissu de coton blanc, dont on rabattait les coins par-dessus la masse blanche. Après l'égouttage, qui se faisait pendant plusieurs jours dans une marmite, il n'y avait plus qu'à recueillir le fromage blanc restant dans le tissu. Servi salé et enrichi d'un peu de crème, c'était un régal. On l'appelait «Bibbeleskäs».

La traite des vaches, c'était également le travail de maman !
Je me souviens que maman nouait un fichu sur ses cheveux. Elle prenait un seau émaillé propre.
Elle donnait quelques tapes légères sur le flanc de la vache qu'elle voulait traire tout en lui demandant de se pousser un peu ! La vache interpellée ripait volontiers son arrière-train sur le côté, car les laitières sont en général dociles pendant la traite : elles éprouvent physiquement le besoin impérieux d'éliminer leur lait, et elles se mettraient à meugler si on oubliait de les traire.

Il arrivait cependant qu'une vache importune la fermière par des coups de queue intempestifs, plutôt destinés à chasser une mouche que pour gêner la trayeuse. Maman coupait court à ce genre de désagréments, en lui liant la queue contre une patte, à l'aide d'une ficelle. Maman s’asseyait sur un tabouret, en coinçant le seau entre ses genoux. Ainsi, elle se trouvait pratiquement engagée à demi sous la bête, tout contre elle.

Je voyais faire maman qui tirait alternativement sur deux trayons, mais les mouvements allaient trop vite pour que je puisse me rendre compte qu'elle les comprimait progressivement.
Grâce à ce savoir-faire de fins jets de lait tout blancs résonnaient contre la paroi interne du seau d'un son métallique. « Pschitt - pschitt… Pschitt - pschitt… Pschitt - pschitt… Pschitt - pschitt ! »

En jaillissant, le lait produisait une épaisse couche de mousse crémeuse et toute fumante.
Celle-ci atténuait progressivement le bruit caractéristique dans le seau.
Quand les trayons étaient vides, maman passait aux deux autres trayons.
De temps en temps elle prenait appui avec sa tête contre le flanc de la bête pour la repousser un peu et poursuivait. Et ça, 2 fois par jour ! Matin et soir, que ce fût jour de semaine ou jour de fête.

Le lait des vaches tiré, maman avait l’habitude de donner une tape amicale sur la croupe de l’animal soulagé de son lait.
On nous avait prévenus, Clarisse et moi, de ne jamais nous mettre derrière une vache que maman était entrain de traire. Nous étions pourtant tentés de rester là pour la regarder. Nous savions que tôt ou tard, elle nous enverrait une longue giclée de lait, ce qui nous faisait déguerpir !

Pour les nourrir, nous emmenions nos vaches au pâturage ! C’était le travail de toute la famille ! Je veux dire que n’importe qui pouvait le faire... C’était fonction de la disponibilité de chacun… C’était parfois pépé, mémé, maman ou papa. Je ne crois pas avoir eu l’occasion d’emmener les vaches tout seul au près bien qu’elles connaissaient le trajet quasiment par cœur. Je devais être encore trop jeune… Par contre, j’ai souvent eu l’occasion d’accompagner l’un ou l’autre de mes parents ou de mes grands-parents ! Je ne sais plus si j’étais amusé ou désolé de voir nos vaches lâcher leurs bouses le long de la route !

En plus du nourrissage journalier des vaches, il fallait constamment s'occuper de leur entretien et de celui de l'étable. C'étaient des travaux désagréables, salissants et malodorants, mais la santé des bêtes et sûrement la qualité du lait nécessitaient de tels soins. Les vaches se salissaient parfois exagérément, en dérangeant leur litière et en se couchant dans leurs propres déjections.

Je sais que papa ou pépé les étrillait de temps à autre, car il avait aussi à une certaine fierté à avoir des vaches présentables.
Il était indispensable de sortir journellement le fumier de l'étable, et renouveler la litière avec de la paille fraîche.
Papa profitait donc généralement de l'absence des vaches de l’écurie, au moment où on les menait au pâturage, pour faire cette corvée de nettoyage.
A l’aide d’une brouette et d’une fourche à fumier, une fourche à quatre dents, plus courtes que celles de la fourche à foin qui ne comporte que 3 dents, papa emmenait les brouettées d'excréments et de paille souillée sur le tas de fumier qui occupait un coin de la cour. C'était une aire bétonnée pour éviter de souiller le sol. Le ruissellement étaient dirigés vers la fosse sceptique aménagée sur le coté de la maison. Les urines des bêtes coulaient aussi d'elles-mêmes dans cette fosse grâce à des conduits souterrains qui partaient de l'étable.
Des vapeurs s’élevaient du tas de fumier dans la fraîcheur matinale. Et bizarrement je n’ai aucun souvenir des mauvaises odeurs ! Le fumier ainsi à l’air ne devait pas empester !
Par contre il y avait pire odeur que celle du fumier : C’était celle du purin !
De temps en temps, papa était obligé de vider la fosse… Elle était située dans l’allée à coté de la maison, à quelques mètres de l’écurie. Il fallait la vider à l’aide de seaux ! « Bêêuh ça Schtinnk ! ».

Mais nous n’avions pas à nous plaindre... Je veux dire par-là que notre maison était belle et que sa façade l’était tout autant !
Ce n’était pas le cas partout ! Dans le village, il y avait plusieurs maisons qui avaient le fumier quasiment devant la porte, presque au bord de la route. Cette partie de terre entre maison et route se nomme l’usoir. Il était quotidiennement en désordre. Il y avait la charrette, les herses, la charrue.

Devant certaines maisons, le propriétaire laissait même courir ses poules, coq et toutes ses autres volailles…
A croire que le propriétaire voulait exposer là sa fortune, ses richesses…
Il paraît que la richesse du paysan se mesurait à la hauteur de son tas de fumier !
Même les maisons placées au milieu du village ne dérogeaient pas à cette règle ! Nous passions ainsi devant les maisons de chez REINERT, puis de chez LINDEN et bien d’autres encore.
Ainsi, la vie agricole était liée à celle de nos vaches. Elles subvenaient pour partie à nos besoins, mais elles réclamaient en retour beaucoup de soins et de travaux. Elles causaient parfois des soucis et des peines, mais elles procuraient aussi des satisfactions et des joies !

LES COCHONS :

Oui, nous avions les volailles de toutes sortes ainsi que des bêtes plus grosses, comme les vaches, mais nous avions aussi des cochons ! Eux aussi demandaient des soins et de l’attention.
C'est maman qui préparait la soupe pour tout le monde, pour nous et pour les bêtes…
Mais pas dans la même marmite hein !!!

En évoquant ces souvenirs une odeur me monte aux narines ! Je sens la marmite aux cochons !
Comment ces odeurs me reviennent, je ne sais pas ? Je n'y faisais sûrement jamais attention à l'époque, mais aujourd'hui, je sens nettement cette bonne odeur de pomme de terre en train de bouillir dans la grande marmite posée sur le tri-pattes à gaz. Je vois même encore les vapeurs s'échapper de dessous le couvercle en moussant légèrement !

Chaque fois que cela était possible, on complétait aussi la nourriture des cochons avec des feuilles de betteraves fourragères que ma mère prélevait sur la partie basse des pieds de betteraves en pleine croissance ou avec des feuilles abîmées autour de certains choux ! C’est en descendant un jour dans la buanderie pour préparer la marmite aux cochons que maman avait oublié d’éteindre le feu sous la friteuse pleine d’huile dans la cuisine.
Lorsqu’elle est remontée : Catastrophe ! Il y avait une fumée noire partout. Le feu avait pris dans la friteuse. Elle ouvrit vite la fenêtre et alla jeter la friteuse dehors.
( Tonton Joseph avait vu que nous avions la fenêtre de la petite cuisine grande ouverte et s’était dit :
« Tient la Jeanine doit avoir chaud ! ».
Il ne se doutait pas que nous avions faillit avoir le feu à la maison…
Les 2 pièces, cuisine et salle de séjour, étaient dans un état lamentable. Il y avait comme des toiles d’araignées toutes noires qui tombaient du plafond et pendaient d’un mur à l’autre.

C’étaient les plaques de polystyrène du plafond qui avaient fondu. Elle s’en souvient encore !!!

Si maman se chargeait de tuer les poules, les lapins et les canards, pour tuer le cochon s’était autre chose. Au début, papa faisait appel à un boucher amateur qui passait dans les maisons du village pour tuer et découper le cochon. A DALEM, s’était WEISS Nicolas qui faisait ce travail.
Par la suite, c’est papa et pati qui s’en occupèrent eux-mêmes.

Cela se passait en hiver au moment où la température était suffisamment basse pour que la viande se travaille bien. Papa et Pati se débrouillèrent toujours tout seul et ne firent jamais appel à un boucher.

Comme pour tout le reste, le courage ne manquait pas, par contre, ils étaient très mal outillés pour exécuter ce genre de travail : Assommer, saigner puis brûler le cochon avant de le découper. C'était un travail qu'il fallait faire sérieusement mais qui prêtait malgré tout à des moments de plaisanteries.

Un jour papa a décrit ce travail dans une très longue lettre qu'il a adressée à ma grand-mère BOUTET où il disait un peu prêt ceci :

« Avant d'assommer le cochon, il fallait le sortir de l'écurie.
Pour cela, Pati lui glissait une corde autour du groin pour le tirer ou le pousser au dehors...
Cela ne marchait qu'après qu’il ait discuté un peu dans l'oreille du cochon pour qu'il veuille bien se laisser faire…
A la porte, moi j’attendais en tenant des deux mains une lourde masse en l'air, que le cochon sorte sa tête à l'extérieure de l'écurie pour lui asséner un grand cou sur le crâne.
Malheureusement, ce jour là c'est Pati qui est sortie le premier… »


Mémé avait bien rit et je crois que cette fameuse longue lettre est passée dans plusieurs mains avant d'avoir été jetée à la poubelle. Dommage !

Poursuivons !

LA MORT DU COCHON :

Le cochon tiré et ou poussé en dehors de l’écurie, non sans avoir ameuté tout le village était d’abord assommé. Papa se saisissait d’une lourde masse qu'il levait loin au-dessus de sa tête. Il attendait que la bête ne remue pas trop pour abattre soudain la masse sur le front de l'animal. Le contact brutal de l'acier avec le plat du front résonnait sourdement et la bête s'effondra aussitôt sur son flanc. Parfois la bête se mettait à hurler encore plus fort en poussant un long cri aigu. Il fallait alors lui asséner un deuxième coup pour qu’enfin le silence règne.

Les pattes arrière tendues en spasmes saccadés. Les convulsions violentes donnaient l'impression que le porc était encore vivant, et qu'il allait revenir à lui d'une seconde à l'autre. Mais papa ou parfois pati se saisissait alors d'une baïonnette en guise de grand couteau et après avoir appuyé un genou sur la nuque du cochon, il lui enfonça la lame dans le côté du cou, pour lui trancher la carotide. « Jeanine ! » Criait mon père, dans le but de la faire venir vite, pour recueillir le sang qui serait nécessaire à la fabrication du boudin. Maman n’était pas loin. Mais elle n’aimait pas assister à la mise à mort du cochon.

Maman arriva rapidement. Quelques giclées rouges s'étaient déjà répandues à terre et papa devient pincer la plaie pour freiner l'écoulement du sang.
« Vas-y », dit-il à maman !
Maman glissait alors une casserole sous la plaie libérée qui jaillissait par à-coups et elle recueillit le liquide rouge qu'elle touillait énergiquement avec une cuiller en bois, car il fallait constamment remuer le sang pour éviter sa coagulation. Une mousse rose se formait à la surface.

Maman y ajoutait un peu de vinaigre. Puis portait le sang recueilli à la cave, en attendant son utilisation.
Le sang était mélangé avec des morceaux du cou du cochon, des oignons, du sel, du poivre et divers autres ingrédients et quand la préparation avait la consistance souhaitée, on la versait lentement dans un entonnoir, pour remplir les boyaux préparés la veille et faire les boudins.

Le cochon mort, il fallait l'entourer de paille, que l'on brûlait pour faire griller tous les poils de la bête. Papa prenait une poignée de foin en flamme pour brûler les endroits du cochon les plus difficiles comme les oreilles ou à la commissure des cuisses.
Un jour, croyant le cochon mort, papa et Pati mirent le feu à la paille… Mais le cochon se releva, les poils noircit par les flammes et couru le long de la maison en hurlant tout ce qu'il pouvait. Je ne sais plus qui a du le devancer pour fermer le portail avant qu'il ne se sauve sur la route… Depuis ce jour là, papa et pati se sont équipés d'un pistolet spécial pour tuer les cochons !
Une fois bien brûlée, il fallait ébouillanter copieusement la bête dans le but de faciliter le rasage de ses soies. Il existait un outil spécifique pour faire ce travail. Mais papa et pati utilisaient également les couteaux. Une vapeur d’eau se formait sur la peau du porc. On raclait ainsi tout son corps, sans oublier de tourner la pointe du couteau dans les plis des oreilles ou dans les commissures du groin. Maman apportait parfois un appoint d'eau bouillante dans une casserole.
Lorsque le cochon était nettoyé de tous ses poils, après l'avoir bien raclé, une fois débarrassé de ses ongles avec un crochet, il est lavé encore une fois à grandes eaux et déposé sur une table, les 4 pattes en l'air.

Vint le moment d'ouvrir les entrailles de la bête…

Après avoir fait siffler son couteau en le frottant le long d'un fusil à aiguiser, papa ou pati c’était selon leur humeur, tacitement l’un prenait l’initiative sur l’autre ou inversement ouvrit d'une main sûre la peau sur une trentaine de centimètres, tout en la retenant de l'intérieur, par deux doigts introduits dans l'abdomen. C'était un travail de précision que de faire glisser la pointe du couteau entre l'index et le majeur de l'autre main, sans se couper, mais aussi sans entailler le moindre viscère.

Tout en continuant d'ouvrir le ventre, toujours avec les mêmes précautions. Il fallait extirper les boyaux, l’estomac puis dégager la vésicule biliaire logée dans un repli du foie, en la pinçant avec précision, bien serrée entre le tranchant du couteau et le pouce, toujours avec le souci de ne pas gâcher les abats par un écoulement de fiel. Dès les viscères enlevés, le reste se fit sans autre problème délicat.
Les abats : Le cœur, le foie, les rognons, étaient récupérés avec soin. Les filaments de graisse qui retiennent les viscères étaient extraits également pour faire de la crépinette : Ces filets de graisse servaient à envelopper les pâtés cuits au four.

Un jour alors que papa tuait le cochon chez ma tante, j’ai assisté à une véritable séance de sciences naturelles.

Le prof : C'était papa ! Toute la famille était là.
Après avoir coupé le cochon en deux, il nous disait :

« Ça c'est le cœur », tout en faisant un bilan sévère sur la santé de l'animal !
« Ça c’est le foie », bien sûr les commentaires ne tournaient pas autour du verre d’eau !
« Ça se sont les reins », là aussi il en rajoutait un peu !
« Ça se sont les intestins », il imaginait tout ce que le cochon avait mangé etc.
« Ça c'est la queue ! » ( Il n'était pas rare, que cette dernière se retrouvait dans le casse croûte de l'un ou de l'autre de mes oncles ou cousins ou qu’elle fut envoyée dans la VIENNE par la poste à destination de l’une ou l’autre de mes cousines : Marie-Claire ou Marie-France ).
Tout le monde avait bien rigolé ce jour là… Sauf le cochon !!!

Lorsque tout l'intérieur du cochon était évacué, on tranchait la tête du cochon et il fallait couper les côtes à la hache pour obtenir deux demi-cochons.
Ces demi-cochons étaient ensuite accrochés au plafond de l'atelier. Le crochet passait derrière le tendon de la patte arrière du cochon. Il restait ainsi toute la nuit pour qu'il refroidisse et que la viande sèche.

SAUCISSES - BOUDIN - PATE ET AUTRES SCHWINSKÄS :

Le lendemain, toute la famille était debout de bonne heure pour participer à la confection des saucisses, pâté etc.
Le travail était bien répartit et chacun avait ses habitudes.
Papa découpait les deux jambons avant et les deux jambons arrières ( fesses + cuisse ), ainsi que le lard. Le tout était mis à saler dans un long baquet en bois, légèrement incliné pour que le jus s'écoule et que l'on puisse bien le récupérer pour arroser et saler de temps en temps avant de tout mettre au fumoir.
Il découpait ensuite les côtes qu'il fendait à la hache pièce par pièce.
Il découpait encore les gros morceaux de viande qu'il fallait découaner puis couper en plus petits morceaux. Ils serviront à faire les saucisses, pâté etc.
Le reste de la journée était donc pris pour élaborer les saucisses, boudins, côtelettes, pâtés etc. C'était un travail sérieux, très prenant et qui demandait beaucoup de rigueur.
D'une salaison ou d'un assaisonnement plus où moins bien réussit, d’un hachis plus ou moins mal épicé, trop poivré, trop salé ou pas assez, pouvait dépendre toute la consommation de viande du cochon…

Il est arrivé des années ou papa et maman n’étaient pas très fier de leur réussite… Mais la viande se mangeait tout de même !

Pour confectionner les saucisses, papa coupait des gros bouts de viande et de graisses en lanières ou en gros cubes. Le tout était disposé au milieu de la table. La suite, c’était l’affaire de maman.
Elle malaxait de ses mains ce monticule de chair tout en y incorporant différentes épices, du sel, du poivre, de la muscade, de la marjolaine etc.
Et elle brassait, et elle brassait…
Lorsqu'elle estimait que les épices étaient suffisamment mélangées à la viande, c'est alors que nous les enfants, nous entrions en scène.
Il fallait tourner le moulin à viande accroché au bord et en bout de table.

Maman y glissait tantôt les morceaux de viande assaisonnés tantôt des bouts de gras.
Les bouts de gras qui étaient plus durs que le maigre coinçaient et bloquaient de temps en temps la machine. Cela me vexait !

« Allez hop ! On tourne » disait alors maman.

Le hachis sortait au bout de la machine au travers d'une « grille » percée de plusieurs petits trous.
Maman disposait la chair rouge et blanche au milieu de la table.
Il fallait à nouveau la malaxer pour affiner l'assaisonnement. De temps à autre, tout en malaxant, elle glissait un doigt au milieu de la viande fraîche pour la goûter.
« Ca va ! On peut y aller. Allez hop Alain on tourne le moulin ! »

Maman plongeait alors… mais non ! Les mains seulement… dans le hachis pour confectionner des boules qu'elle poussait dans le moulin. Il fallait sans cesse tourner la manivelle. C'était plus facile que les gros morceaux de viande ! Trop facile même, car nous avions l'impression de tourner dans le vide…

La viande hachée sortait par un tuyau sur lequel elle avait pris soin d'emmancher les tripes.
Lorsque qu'une saucisse était formée, lorsqu'elle était assez longue, maman la tournait deux ou trois fois pour l'arrêter. L'opération était délicate, il ne fallait n'y trop tasser, ni trop peu. Il fallait chasser l'air, faire attention que le boyau ne se rompe pas. Et le hachis sortait à nouveau du tuyau pour confectionner la saucisse suivante. Lorsqu'il y avait ainsi une vingtaine de belles saucisses bien roses, formant un beau " collier ", papa les accrochait sur des tiges en fer que l'on pendait dans le fumoir de l'atelier.

En écrivant ces lignes, je retrouve l'odeur que dégageait ce fumoir toujours bien rempli !

Pour alimenter le fumoir, nous allions papa et moi dans une scierie de FALCK, chez ZELUS, chercher de la sciure. Et oui, il fallait quelque chose qui fume et qui se consume sans faire de flamme.
Nous remplissions alors de grands sacs. Je tenais le sac de jute grand ouvert et papa à l'aide d'une pelle immense le remplissait. En trois ou quatre pelletées, l'affaire était dans le sac comme on dit. Au suivant ! Je tenais grand ouvert, mais regardait tout de même du coin de l'œil la grand lame qui allait et venait au travers d'un gros tronc d'arbre, juste au-dessus de nous !

Les sacs remplis et entassés dans le coffre et sur les sièges arrière de la dauphine, nous pouvions rentrer à la maison. Papa donnait une pièce au responsable qui était là et c'était tout ! Aujourd'hui, il faut probablement payer plus cher !

Tous les jours papa surveillait le fumoir. Il ne fallait pas qu’il y ait de flamme. Il fallait que la fumée soit froide. On voulait fumer la viande, pas la faire cuire… Il fallait donc se donner de la peine.

Mais quel plaisir ensuite de pouvoir décrocher un jambon du fumoir, y découper de belles tranches d'épaisseur raisonnable ( pas comme celle que l’on trouve en charcuterie aujourd'hui, des tranches tellement peu épaisses qu'on pourrait penser qu'elles n'ont qu'une face ! ).
Ou quel plaisir ensuite de faire griller une saucisse dans la poêle ou la faire cuire dans une bonne choucroute… Hmmm ! Vous sentez ?

Maman terminait la journée par les pâtés ( hachis mélangé à des œufs, du foie etc. ). Elle faisait soit du pâté en bocaux, soit du pâté au four. Là il fallait faire cuire la viande… Hum les bonnes odeurs qui se dégageaient alors !

Papa avait découpé entre temps la tête du cochon et les oreilles en petits morceaux afin d'être hachées et assaisonnées avec du persil et de l'ail pour être transformer en « Schwinskäs » : Fromage de tête. Le fromage de tête, c'était aussi l'affaire de maman.